La Parole de Sultan Valad

Le roi ordonna alors à Ayâz de se présenter devant Lui,

Et lui dit : « Puisque toi tu n'es pas un impie, fais une oeuvre pie. Prends ce bijou, et brise-le aussitôt. »

Ayâz le saisit sans hésiter dans la main du roi, et frappa le joyau avec une pierre jusqu'à ce qu'il n'en restât plus aucun vestige.

Il pulvérisa cette pierre comme un onguent, à l'ins­tar de la meule qui écrase l'orge et le blé.

Ensuite, Ayâz jeta cette poudre au vent, et se pros­terna devant le roi à la façon des esclaves.

Le roi lui demanda : « Dis-moi la raison de ton acte ?

Pourquoi as-tu brisé avec une pierre cette perle pré­cieuse ? »

Ayàz lui répondit : « Mieux vaut réduire à néant une perle avec une pierre que de réduire à néant l'ordre du roi

En réalité, c'est l'ordre du roi qui est la perle, et la perle même est une pierre.

L'éclat de cette perle n'est qu'une couche sur une pierre,

Qui fait qu'on prend, à cause de cet éclat, la pierre pour un joyau,

Et que, par ignorance, on l'enchâsse dans de l'or.

(54)

Dieu leur a ouvert Sa porte, Il a donné l'existence au néant.

Il a fait d'une pièce fausse enduite d'or de l'or pur.

La non-existence a tiré son existence du néant.

Il en sort à chaque instant de nouveaux univers.

(60)

Le dévot dit par crainte : « Que dois-je faire ? Dans un tel malheur, que dois-je faire ? »

L'initié, par amour, dit : « Que Dieu va-t-Il faire ? Quelle merveille Dieu va-t-Il créer pour moi ? »

Le regard du dévot est tourné vers lui-même, exa­minant s'il accomplit le bien et ne fait pas le mal.

Le regard de l'amoureux est fixé sur Dieu ; il con­temple constamment le visage de Dieu.

Le regard du dévot est tourné vers les actions, le regard des initiés est tourné vers l'anéantissement.

(94)

Il disait : « Puisque je suis lui, qu'est-ce que je cherche ? Je suis lui, pourquoi parler de moi ?

Ce que j'ai dit de sa beauté, en fait, je suis cette beauté et cette grâce mêmes.

Si en réalité je me cherchais moi-même, comme le vin, je bouillonnerais dans mon propre tonneau. »

Le raisin qui fermente le fait pour lui-même                il s'efforce d'atteindre la perfection.

Car cette suavité est cachée en lui. Il tâche de la manifester.

C'est pour cela que Mostapha (Mohammad) a dit, en parlant de l'essence de l'âme humaine :

« Celui qui se connaît connaît son Seigneur. » Celui-là comprend ce qu'ont dit les prophètes. Tu n'arriveras pas à ce degré avec des paroles et des discours.

Cherche ce secret dans la voie de l'état spirituel. Cela n'est possible qu'en purifiant l'âme charnelle afin que ce qui était étoile devienne une lune.

Quand on se connaît parfaitement soi-même, on devient le connaissant de Dieu.

Tel le cuivre qui se transforme en or par l'alchimie ou la goutte d'eau qui devient perle dans l'océan,

Ou comme un raisin vert qui devient mûr, ou une semence humaine qui devient une houri,

Ou un croissant de lune qui devient pleine lune,

Ou un illettré qui devient un savant. Lorsqu'on se perfectionne

On devient un guide.

Alors, on connaît Dieu et Sa miséricorde, on se hâte de toutes ses forces à Lui rendre grâces.

C'est en rendant grâces à Dieu qu'on attire Sa géné­rosité, quant au reste, lis-le sur la tablette de ton coeur.

Celui qui prétend à être un guide sans posséder un tel état, sache que sa prétention est dénuée de valeur. Ainsi que l'a dit Mevlânâ au sujet d'une telle personne, ô homme sage !

« Celui qui ne devient pas enivré par le samâ', et n'a pas perdu conscience, de joie, sache qu'iI est un néga­teur.

Ne l'admets pas s'il vient vers toi, et n'accepte pas ses paroles.

Une autre signification est celle-ci, ô mon ami : une lumière est cachée dans le coeur, qui n'est pas séparée de l'Essence divine,

De même que la lumière est unie au soleil. On per­çoit, grâce à elle, toutes choses, rien ne peut lui être dissimulé.

Une telle lumière est toujours dans l'âme. Celui qui ne la connaît pas est ignorant et inexpérimenté.

(102-104)

Quand les prophètes sur eux la paix ! sont apparus, chacun d'eux a conféré à la prière une forme particulière. L'homme doué de discernement ne s'attache jamais à sa seule apparence. Il comprend que si un homme assoiffé demande une aiguière, c'est pour l'eau qu'elle contient, et non pour l'aiguière. De même que les pro­phètes ont présenté cette prière aux hommes sous des formes différentes, les saints, eux aussi, ont apporté cette prière véritable aux hommes, en tant que samâ' (oratorio spirituel) ou gnoses, en poésie ou en prose. Quiconque connaît la valeur des aliments sait que ce qui est important, c'est la nourriture, non la vaisselle qui la contient, et qui peut être changée sans que les aliments changent.

Chaque prophète avait une prière particulière, quoi­que le but de tous fût unique.

La véritable prière est la prière intérieure. Elle est cachée comme l'esprit.

A chaque instant, elle se présente sous une forme différente, comme un vin unique, servi dans plusieurs coupes.

(143)

A chaque instant, efforce-toi de te réduire toi-même afin de pouvoir parvenir à Dieu.

Quand ne demeurent plus ni « Toi » ni « Lui », Il se manifeste sans voile de dualité.

Car « Moi » et « Nous » sont un voile dans ce che­min. C'est un voile devant le royaume de Dieu,

Qu'est-ce que parler de « Moi » et de « Nous » ? Si tu l'ignores, laisse-moi te l'expliquer.

Toutes tes actions qui ne sont pas pour Dieu seul,

Sois sûr qu'elles proviennent de « Moi » et de « Nous ». La dernière étape de la Voie est celle de l'Unité ; avant d'être mort, comment serais-tu uni ?

(144)

Si tu es attentif, je te raconterai ce qui m'est advenu.

Quand je naquis, le lait de ma mère est devenu le sang de mes veines. En grandissant, je laissai le lait et mangeai d'autres nourritures.

Petit à petit, je mangeai du riz, du miel, du sucre, des fruits, frais ou secs.

Ensuite, je me mis à penser et m'intéressai à la sagesse.

Puis, je dépassai ce niveau humain, et mon esprit s'envola, comme un ange, vers le septième ciel.

Lorsque je renonçai à mon existence individuelle, je devins un océan sans limites, n'ayant ni rives, ni fin, ni intérieur, ni extérieur.

Si je vais à gauche ou à droite, sache que tous mes mouvements viennent de Dieu.

(201)

Quand on voyage sur terre, on parcourt des étapes, mais sur la mer, il n'y a plus trace de chemins.

Après l'union, l'itinéraire change ; le voyage de celui qui est uni à Dieu est caché et illimité.

Le premier voyage était le voyage vers Dieu ; le se­cond est le voyage en Dieu.

Sache que ce dernier voyage est celui de ceux qui sont arrivés à l'union.

Comme leur voyage est en Dieu, à chaque instant ils reçoivent la grâce divine.

Seul l'amoureux peut comprendre cela, celui qui ne connaît que la raison en est incapable.

La raison est l'architecte de ce monde, mais l'amour est le destructeur de ce bazar.

(272)

Avant la création d'Adam, j'étais intime avec Dieu. J'existe depuis que Dieu existe, je suis Son secret, ne nous considère pas comme deux. »

Nous étions avant que le monde soit, nous sommes éternels, mais Adam est créé.

Sa forme est créée, car il est fait d'eau et d'argile, mais sa lumière est éternelle.

Les âmes des hommes sont la lumière divine ; ils ne trouvent donc leur paix qu'en Lui.

Bien que les rayons du soleil tombent sur la terre, ils ne sont pas séparés du soleil.

Une seule lumière habite tous les êtres humains : l'un est byzantin, l'autre arabe, l'un est savant, l'autre ignorant, l'un est un homme, l'autre une femme ;

Chacun parle une langue différente, et chacun a un culte particulier.

Cette multiplicité n'est qu'une apparence. En réalité, ils sont un.

Les rayons du soleil tombent dans différents édifi­ces, c'est leur pluralité qui fait croire à des lumières multiples, bien qu'elle soit unique.

(275)

Les amoureux ne pensent qu'au moment présent, ils ne se préoccupent pas du lendemain.

Celui qui ne possède que l'espoir dans la voie de l'amour ne vaut pas un sou.

(314)

Les amoureux n'ont pas peur de la mort, car ils sont habitués à elle depuis la pré-éternité.

La mort est un voyage vers Dieu, après la sépara­tion d'avec ce corps impur.

C'est le départ de la terre et du firmament vers l'au­delà de l'espace.

C'est la joie suprême des amoureux de Dieu, c'est leur but ultime.

Le Bien-Aimé est l'Ame pure ; tout leur désir tend vers Lui.

Un poisson captif d'un lac souhaite retourner à la mer ; car le bien-aimé des poissons est la mer, et c'est la patrie de leurs âmes.

La mort est comme la mer et les amoureux comme les poissons. Quand ils arrivent à la mer, elle devient pour eux un royaume.

Les royaumes d'ici-bas sont éphémères, ainsi que le sont ceux que les enfants imaginent dans leurs jeux.

Quand ils jouent dans un quartier, l'un devient roi, un autre vizir, d'autres ministres ou soldats.

Tous sont contents d'être le roi et les gouverneurs du monde.

Leur joie n'est qu'une bulle d'air, sans aucune réa­lité. En fait, il n'y a ni roi, ni vizir, ni armée.

(318)

N'as-tu pas entendu que le Prophète a dit qu'à cha‑

que instant Dieu insuffle la vie aux hommes ? Recevez ce souffle de toute votre ferveur, pour que

la ténèbre de vos âmes devienne la lumière.

Parfois, arrivent des souffles que vous ignorez, et qui rendent parfaits ceux qui les reçoivent.

Efforcez-vous de ne pas rester privés de ces souf­fles : si vous restez à l'écart, vous n'atteindrez pas votre but.

Grâce à Dieu, nous avons reçu ce don dont les incroyants n'ont pas bénéficié.

Ce souffle nous confère l'âme céleste qui nous per­met de contempler la beauté du Bien-Aimé.

Dès lors, notre foi est notre joie et notre religion est l'amour.

Quand la fleur s'épanouit sur la branche, elle ne sait pas qui la fait s'épanouir.

(324)

Tous tournent comme un atome autour de ce Soleil, émerveillés et attirés par Lui.

Ce monde d'ici-bas en est le reflet ; la réalité se trouve au-delà.

Un homme véritable cherche à passer du monde du corps à celui de l'âme,

L'âme est cachée dans le corps comme une beauté dans une tente : si tu l'aperçois, tu saisiras le secret de notre coeur.

C'est en toi que se trouve le trésor, il n'est nulle part ailleurs qu'en toi.

En dehors de toi, rien n'existe ; les hommes de Dieu ont dévoilé ce mystère.

Notre trésor est infini, notre corps comme la terre qui le recouvre.

(325)

L'armée du soleil, ce sont ses rayons ; les cieux et la terre sont illuminés par eux.

Le soleil du firmament n'est qu'une petite créature qui offre à tous ses dons.

Il fait briller ses lumières sur les animaux, les végé­taux, les êtres inanimés, les hommes ; tous sont vivi­fiés par lui.

Il fait ce qu'il veut, sans aide et sans collaborateur. Il n'est donc pas étrange que parviennent aux créatu­res les dons et les grâces de son Créateur, sans qu'Il ait besoin d'une aide.

Si tu te regardes un instant avec l'oeil du coeur, tu découvriras tout cela en toi-même.

(327)

Consacre toutes tes pensées à Dieu, car ce n'est pas le monde qui est un voile entre Lui et toi, mais la pen­sée que tu en as.

(329)

De même que Jonas s'est libéré du ventre de la baleine par les louanges qu'il avait adressées à

Dieu, toi aussi, tu peux te libérer de ton corps par la louange de Dieu.

Sois dans le ventre de la baleine comme Jonas, en train de prier et d'invoquer Dieu.

Car c'est par le dhikr qu'il échappa à ce péril. Ton âme est comme Jonas, ton corps comme la baleine.

(336-337)

Un homme avait reçu de son père un important héritage. Il le dilapida et resta dans le dénuement.

Il suppliait Dieu, en gémissant, de lui faire trouver un trésor, sans effort.

Une nuit, il rêva qu'on lui disait : « Va en Egypte » et on lui indiqua où aller, en lui disant qu'il trouverait là-bas ce qu'il désirait.

Il partit de Bagdad vers l'Egypte, dans l'espoir de trouver un trésor. Il arriva en Egypte, pauvre et misé­rable, sans même un morceau de pain pour se rassa­sier.

Il avait honte de mendier, jusqu'à ce qu'il eut tel­lement faim qu'il décida de sortir pendant la nuit pour trouver quelque chose à manger.

Soudain, quand il sortit le soir de sa maison, un poli­cier l'arrêta ; il le frappa et lui dit : « Qui es-tu ? Que fais-tu dans la rue pendant la nuit ? »

Il lui dit : « Pour l'amour de Dieu, laisse-moi t'expli­quer mon secret. »

Le policier s'arrêta de le battre et il se mit à lui raconter son histoire.

Quand le policier l'entendit, il lui dit : « Tu es stu­pide d'avoir entrepris un si grand voyage à cause d'un rêve.

Moi aussi, j'ai rêvé mille fois que se trouvait à Bagdad un trésor caché dans telle maison, dans telle rue, dans tel quartier, mais moi je ne l'ai pas cru. »

Quand l'homme entendit les indications que le poli­cier donnait, il comprit quel était le véritable empla­cement du trésor.

« En réalité, se disait-il, ce trésor se trouve dans ma propre maison ; mais moi je le cherche stupide­ment partout dans le monde. »

Alors, il retourna à Bagdad et découvrit le trésor dans sa maison.

Quoique son voyage, en apparence, ait été inutile, en fait il lui avait été d'un grand profit.

Car s'il n'était pas parti de sa ville, jamais il n'au­rait su où chercher le trésor. En dépit des difficultés, il est parvenu à son but.

(338-339)

Car ce qui importe, ce n'est pas l'eau, mais la soif ; sois donc assoiffé d'amour, car le Bien-Aimé est pré­sent en tous lieux.

Mais sans amour, on ne peut contempler Sa beauté unique. Pour l'homme de Dieu, l'amour est comme l'oeil, et c'est l'amour qui fortifie la religion et la foi.

L'amour est le flambeau dans la ténèbre de la nuit ; sans ce flambeau, on ne peut voir Sa beauté.

L'amour, c'est les ailes de l'oiseau de l'âme ; c'est une échelle vers le ciel.

L'existence est comme le corps, l'amour est son âme. Toutes choses proviennent de l'amour ; sinon, elles n'existeraient pas.

Mais il ne faut pas croire que l'amour est accordé à tout le monde ; il n'est pas aisé de l'obtenir.

(346)

[1]

 

 



[1] Réf. dans Florilège